Quelle toile à broder ?
Dans le premier chapitre nous verrons pourquoi changer de toile et dans le deuxième : le choix du tissage aïda ou Lin.
A- Il n’est pas rare que l’on me demande qu’elle toile choisir pour broder un ouvrage qu’il soit de Nimuë ou non.
Cette demande m’est adressée car la toile originelle ne convient pas.
Parce que :
- la vue baisse et qu’il en faut une plus facile
- la couleur ne plaît pas
- la couleur n’est pas assortie avec sa maison
- la brodeuse a des doutes sur la pertinence du choix de la créatrice…
1- Le plus souvent c’est une question de vue…
Admettons que j’ai créé un sujet sur une toile rouge genre… La Reine des Fées ! Broder sur une toile rouge n’est a priori pas aussi simple que de broder sur une toile blanche ou du moins neutre. Mais si le début semble ardu, l’œil finit par s’habituer et crée son propre confort.
Si vous marchez dehors, un soir de lune, vous aurez peut être votre torche allumée au début mais au bout de quelques minutes vous pourrez l’éteindre et profiter au mieux de l’ambiance de la nuit. Votre vue se sera accoutumée au clair/obscur qui dessine alors un paysage d’ombres chinoises, de contours et de surfaces, que votre œil distinguera avec de moins en moins de difficultés.
2- La couleur ne plaît pas…
On a tous des préférences de couleurs. Certaines nous touchent profondément sans que l’on sache pourquoi ni même d’où cela vient.
Mes couleurs de cœur sont le rouge et le vert, auxquelles je peux rajouter les blancs ivoire et les caramel/moutarde en ré-hausseurs des deux premières. Pourquoi le rouge et le vert ensemble me procurent autant de joie ? Je ne sais pas. Ce que j’ai remarqué c’est que lorsque je crée un sujet aux dominantes rouges et vertes, rien ne me résiste.
Mais bien sûr, ces couleurs ne sont pas du goût de tout le monde alors… Changer sa toile reste une prérogative de la brodeuse dont il ne faut pas se passer si la proposition originelle ne convient pas.
Choisir une toile blanche ou couleur lin peut être interprété comme un non-choix.
3- La couleur n’est pas assortie à la maison.
On pourrait dire : comment ramener le sujet dans le style de mon intérieur ? Un des principaux pouvoirs de la brodeuse est effectivement de changer la toile. Choisir une toile plus neutre permet d’intégrer un sujet qui plaît malgré la toile, à son décor quotidien. Un sujet est créé hors contexte, à chacune de le ramener chez soi. La plupart des intérieurs d’aujourd’hui sont très neutres : blancs cassés, taupe, gris clairs,… on peut choisir de créer un accent très tonique sur un mur avec un ouvrage très coloré ou l’adoucir avec une toile dans les tons des murs pour ne garder de « visible » que le sujet lui même.
4- La brodeuse a des doutes sur les choix de la créatrice…
Le maître mot ici c’est CHOIX. Il faut faire des choix. Choisir une toile blanche ou couleur lin peut être interprété comme un non-choix. Nous voilà revenus dans un thème qui m’est cher : la narration. Lorsque je choisis une toile « neutre », c’est-à-dire non-couleur, j’oriente l’histoire vers le point central qui est le sujet lui-même.
- Je laisse moins de place a priori à un « ensemble », il n’y a plus que le motif.
- Je laisse moins de place à une émotion forte qui serait donnée par une toile de couleur.
B- Mais de mon point de vue aucune toile n’est neutre. Détaillons cela…
Je vous invite à sortir de l’opposition habituelle entre ces deux toiles le Lin et l’aïda en abordant la question d’une autre manière.
Ce qu’induit un choix de toile :
1- Un choix de toile conditionne l’histoire que l’on souhaite raconter. Si vous choisissez une toile de coton aïda blanche 5,5 points par cm plutôt qu’un lin naturel 14 fils vous ne raconterez pas tout à fait la même histoire. Chaque toile est connotée.
- Une toile blanche mate de coton nous emmène dans un univers brut, sans mystère. L’on pourrait dire en usant de métaphore que c’est quelque chose qui se joue à l’indicatif c’est-à-dire au présent.
- Un lin naturel 14 fils amène de part sa texture et son gris/beige chaud/chiné vers quelque chose de vintage. L’on évoque ce qui fut, c’est une sorte de passé composé de la broderie.
La finesse du lin sert le détails, alors que l’aïda sert la synthèse. C’est différent mais cela ne s’oppose pas.
2- Je continue dans la métaphore grammaticale :
- avec du lin on raconte l’histoire par « Il était une fois » avec son cortège d’adjectifs
- alors que l’aïda se tient dans l’action en cours, avec sujet/verbe/complément.
Cela peut s’imager de cette façon :
- 14 fils : « Alors que mon regard sautait de nuage en nuage dans le ciel azuré de ce début de printemps, me faisant perdre la notion du temps, je m’aperçus que mes pas m’avaient emmenées inconsciemment, devant ma maison. »
- 5,5 pts : « (Ma rêverie m’amène) J’arrive devant ma maison »
Avec ces exemples il est aisé de comprendre que le chemin narratif peut être direct ou emprunter des myriades de détours subtiles. Vous ne toucherez pas les mêmes personnes selon la toile que vous choisirez. Certaines seront sensibles à une forme d’efficacité alors que d’autres auront besoin d’explorer et de prendre le temps. De mon point de vue c’est un simple choix narratif.
Allons plus loin :
1-En ce moment, une centaine de brodeuses participent à la Grille Mystère des 20 ans. Un sujet qui sera accessible à toutes à la fin du processus. C’est une expérience qui pousse encore plus loin l’expérience du détail et donc de l’adjectif, par un abus assumé de petites croix 1 fil/1fil, sorte d’apanage des toiles de lin puisque l’on s’appuie sur chaque fibre et non plus sur 2 fibres. Sans cet abus « d’adjectifs » on passerait à côté du subjonctif de la broderie. Or priver une langue de son subjonctif reviendrait à supprimer Proust, Jane Austen, Oscar Wilde et tout autres auteurs que nous adorons. Voulons-nous les supprimer ? NOOOOOONNNNNNNN
User du subjonctif nous amène dans le second, le troisième, voire le quatrième degré. Cela donne de la profondeur à ce que l’on évoque.
Alors je dis : Vive les petites croix et Vive le subjonctif !
2- Les Mic & Mac : à broder sur de l’aïda de lin. Très peu de couleurs : 2 verts, 2 chair, 1 orange, 1 blanc. Simple et efficace. Nul besoin d’en faire plus, bien au contraire.
Je dis : Vive l’efficacité !
Pour résumer :
Si vous aimez explorer et voyager dans le temps : choisissez le lin et la couleur.
Si votre esprit est synthétique et que votre plaisir est d’aller à l’essentiel : choisissez le blanc, aïda ou lin.
Rendez-vous pour la suite : Choisir sa toile à broder- partie 2 : La couleur!
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J’ai commencé avec de l’aïda car plus abordable et plus courant… Mais quand j’ai découvert écolaines j’ai découvert l’étamine et le lin et là j’ai apprécié… Petite préférence pour l’étamine pour la régularité de la trame par rapport au lin mais je me mets au lin grâce notamment à la grille mystère… J’ai pas abandonné l’aida que j’apprécie pour de petits projets par contre j’évite la 5.5 où je trouve qu’on voit trop la trame sauf à broder en 3 fils mais ca consomme pour le coup. Mais l’aïda en 7 se brode bien… Pour la reine des fées je pense la faire sur fond noir j’avais vu l’illustration originale sur votre site et ca m’a conforté dans l’idée… Très bons goûts littéraires : je ne compte plus le nombre de relectures pour Austen ou Wilde, Proust pas commencé jusqu’à présent mais p’t’ un jour…
Proust pour parler un peu des français… mais la littérature anglaise, comment dire, c’est une merveille