Couleurs Fantômes
Lorsque l’on veut interpréter une peinture en point de croix, la difficulté réside dans la multiplicité des touches et couches de pinceaux et de peintures présentes dans l’œuvre originale. Que ce soit de l’acrylique ou de la peinture à l’huile, l’artiste aura mélangé, superposé, encore et encore, les matières et les couleurs, jusqu’à obtenir le rendu qui lui convient.
Si vous prenez une illustration faite sur un ordinateur ce sera beaucoup plus simple. Pas de multiples couches, ni de traces de matières, tout est lisse !
Ceci étant posé, revenons à notre Dragon…
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A- Pinceaux Vs Aiguilles
Dragons de Fleurs
Il s’agit d’une peinture, faite de milliers de touches.
Vous allez me dire : » il y aura aussi des milliers de points ! »
C’est un fait, sauf que en broderie :
- on ne superpose pas, on juxtapose
- on n’écrase pas non plus
- on n’intègre pas une matière dans une autre
- on n’intègre pas une ou des couleurs dans une autre
- on ne mélange pas une couleur avec une autre au point de les confondre
- la palette n’est pas illimitée
- etc. etc.
Si je regarde de près l’œuvre originale, je vois un nombre incalculable de couleurs tellement il y a de couches superposées. Les couleurs sombres en-dessous, puis on remonte avec un rose moyen, sur lequel on pose un rose plus clair pour parfois terminer par un rose lumineux, voire un gratté. Et on rajoute un peu de pourpre par-dessus, un rose un peu plus chaud, plus froid, et on recommence.. on gratte, on frotte. Et tout cela s’empile et crée ce que l’on adore en peinture : la Profondeur.
Alors comment faire pour atteindre ce rendu puisque l’on ne dispose que de grosso-modo 30 couleurs, qui ne se fondront de toutes façons pas les unes aux autres, ni les unes dans les autres ?
Et bien on triche !
On donne l’illusion de…
1- Le Chaud et le Froid
Encore faut-il trouver la bonne association de couleurs, celle qui tiendra jusqu’au bout de l’ouvrage. Sachant que les couleurs et les tons évoluent subtilement mais constamment d’un centimètre à l’autre dans le tableau :
Encore faut-il trouver la bonne association de couleurs, celle qui tiendra jusqu’au bout de l’ouvrage. Sachant que les couleurs et les tons évoluent subtilement mais constamment d’un centimètre à l’autre dans le tableau :
- un peu plus chaud ici
- un peu plus froid là
- un plus clair ici
- un plus sombre là
Pour notre dragon, il s’agira de constituer une palette avec des roses pouvant s’accorder, certains froids, certains chauds, mais qu’il faudra doser dans des proportions adéquates.
Je m’explique…
2- Couleurs Fantômes
Peut-être que dans le sujet original, à tel endroit, il y a des roses clairs. Le réflexe pourrait être d’utiliser ceux que j’ai dans ma besace. Mais si je dé-zoome l’image, je me rends compte que cette partie est certes claire, mais plus « chaude » que celle d’à côté. Ah c’est subtile ! Mais c’est la réalité. Alors, je prendrai dans mes roses chauds, celui qui, ajouté aux clairs un peu froids, apportera cette chaleur (donc un chouia plus jaune), alors qu’a priori cette couleur n’y figure pas. Je suis obligée d’inventer quelque chose qui n’est pas là. Cette couleur n’est pas là mais j’en ai besoin alors je l’impose.
Autrement-dit : un rendu est une addition de couleurs, qui juxtaposées, vont donner l’illusion d’optique désirée, vu bien sûr avec du recul.
Autrement-dit : un rendu est une addition de couleurs, qui juxtaposées, vont donner l'illusion d'optique désirée, vu bien sûr avec du recul.
3- L’Herboriste
Cela suppose de DOSER les couleurs. Tel un herboriste qui mettra un peu de marjolaine, un peu de menthe, un peu de pavot, etc pour obtenir la recette parfaite pour sa potion, je dose l’emprise de mes couleurs sur la toile, et ce parfois indépendamment du sujet.
Donc non seulement je vais ajouter parfois une couleur qui n’est pas dans l’original, une sorte de couleur fantôme, mais en plus je vais l’étaler de manière plus ou moins vaste, selon les besoins.
- Illusion numéro 1 : une couleur fantôme
- Illusion numéro 2 : elle se répand
- Illusion numéro 3 : j’ai les mêmes couleurs de bout en bout alors que toutes, absolument toutes, encore et encore, ont changé dans la palette du peintre. Mais en broderie je fais du différent avec les mêmes couleurs : sacrée illusion !!!
4- Pointillisme
Nos amis les Impressionnistes, puis pointillistes du 19ème siècle, avaient bien compris comment créer l’illusion d’un décor naturel grâce à cette méthode des points juxtaposés, semblant ne pas concorder de près, mais prenant tout leur sens dès que l’on s’éloigne un peu. L’œil, cet outil fantastique, rassemble les tons et les couleurs et fait sa propre mixture de manière automatique. Ah ! le corps humain… un bijou !
En reprenant ce principe du pointillisme en broderie, il va s’agir, grâce aux associations de couleurs, de raconter point par point, de manière absolument différente pour autant, une même histoire.
Cela nous donne à comprendre, que pour toutes choses, il y a plusieurs chemins.
Poussons plus avant cette pensée…
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B- Les Chemins de création
Aujourd’hui précisément je crée de telle manière avec :
- qui je suis aujourd’hui
- l’expérience que j’ai accumulée,
- l’intuition que j’ai en cet instant,
- la concentration, etc.
Dans cinq ans, dix ans, il y a de fortes chances que j’arrive au même résultat (avec quelques nuances) bien qu’ayant emprunté un chemin de création très différent. C’est d’ailleurs une des choses que je trouve belle en broderie et par analogie dans la vie.
- Ce sont tous ces possibles qui nous sont offerts et qui nous feront retomber malgré tout sur nos pieds par une voie ou une autre. Magique !
- Il n’y a donc pas qu’une seule vérité mais un panier rempli de vérités toutes très juteuses. Et qu’importe celle que l’on choisira elle sera délicieuse à sa manière comme un bon fruit.
Ainsi, en ce moment, je choisis ces couleurs et je m’y tiens. Je reste cohérente dans mes choix, avec la souplesse du dragon…
Cela nous donne à comprendre, que pour toutes choses, il y a plusieurs chemins.
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C- À la Poursuite de l’ère glaciaire du Dragon
Ma palette s’agrandit à mesure que j’avance dans mes hypothèses de couleurs.
Je suis partie d’un pourpre sombre, le 154, dans la joue du dragon. J’y ai ajouté des rouges/rosés et maintenant je remonte vers la crête où je vais devoir ajouter des roses beaucoup plus clairs et beaucoup plus « froids ». C’est l’ère glaciaire du dragon… ou comment glisser du chaud au froid.
Pour ne pas me perdre en chemin, j’ai besoin d’analyser jusqu’au bout du museau qu’elle quantité indispensable de couleurs je vais devoir ajouter dans cette partie pour que cela ressemble un temps soit peu à l’original. Je sais par expérience qu’il m’en faudra a minima 5 plus celles qui viendront équilibrer, comme dit plus haut, et qui n’apparaissent pas encore à l’œil nu…
Je vois aussi que plus bas, les bas-joues ont des roses presqu’orange. Cela peut être intéressant de déjà envisager quelles couleurs pour cette partie. Qui sait, j’aurais peut être quelques croix à faire avec ces futures couleurs dès à présent, ou pas. Dans ma tête, quelques références de couleurs surgissent… je garde un œil dessus et commence à les envisager.
Vous l’avez compris, l’obsession c’est le nombre de couleurs. C’est le jeu de l’élimination en permanence : qui reste et qui sort de la palette. Entre couleurs évidentes et couleurs fantômes… Cela me fait penser que je n’ai pas encore évoqué le cas des couleurs d’attente. La prochaine fois peut-être…
Rendez-vous pour la suite : Dragon de Fleurs épisode 2
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Dragon de Fleurs, par Nimuë d’après une illustration de Séverine Pineaux
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Je lui verrais volontiers un œil vert, à ce dragon …
Ça sent la fronde créative 😍🥰😅
C’est toujours aussi passionnant et fascinant d’assister au processus créatif et à la façon d’apprivoiser les couleurs.
C’est vrai que c’est amusant de comprendre les ressorts de la création, même pour moi ! Merci Anne.