Partie 2 : L'IDEE prend du pouvoir
Cette histoire de logiciel dédié à la broderie m’excitait. J’adore les ordinateurs depuis longtemps. J’ai toujours été fascinée par l’édition, par le fait de pouvoir faire chez soi ce qui est réservé normalement aux professionnels. C’est un pouvoir énorme de créer en toute indépendance des documents propres et bien présentés. Je vous le dis très honnêtement : sans cette dimension numérique je n’aurais sans doute jamais fait ce métier.
Tout s'était transformé d'un coup en point de croix sous mes yeux
Octobre 2001, Les Rencontres Artistiques de l’Imaginaire, hôtel Dieu, Toulouse.
Organisé par Pascal Ferry, peintre de l’imaginaire et fondateur des éditions Sidh & Banshees, ce salon réunit le gratin des peintres, illustrateurs et écrivains de l’imaginaire en France. Avec en plus quelques entités comme nous Centre de l’Imaginaire Arthurien place forte de la littérature de l’imaginaire en Bretagne. J’ai avec moi une broderie en cours, de Mirabilia je crois, sur une toile couleur caramel foncé. J’étais tellement accro que je n’imaginais plus aller où que ce soit sans ma petite broderie…
Notre stand monté, le salon commence avec son flot de visiteurs. Je me décide à faire le tour des salles pour arriver devant l’espace de Zéphir d’Elph (peintre de Guenièvre). Je regarde ses tableaux de près et c’est comme si tout s’était transformé d’un coup en point de croix sous mes yeux. Je les voyais en point de croix. J’entrais dans une autre dimension. Ma réalité se transformait en petites croix colorées.
J’ai su à ce moment là ce que je devais faire. Je n’ai pas tardé à lui demander si elle accepterait que j’interprète ses tableaux en broderie. Elle m’a dit OUI. Un peu plus loin il y avait Sandrine Gestin avec La Clef, La Reine des Fées, Galadrielle, etc. Même question : « Accepterais-tu que j’interprète tes tableaux en point de croix ? » OUI. Ce weekend là j’ai sondé tous ceux qui proposaient des œuvres que j’aimerais broder et tous sans exception m’ont dit OUI.
J’avais dans les mains ma broderie en cours qui me permettait de les convaincre sur la technique et sa finesse.
J’avais, s’étalant sous mes yeux, toutes les images et toutes les personnes qui allaient faire partie de mon futur : Erlé Ferronnière, JB Monge, Séverine Pineaux, Carmelo de la Pinta, Sophie Busson, etc. Et bien que je les connaissais déjà tous et même très bien pour certains, de voir tout réuni au même endroit cela intensifiait l’inspiration et le sentiment d’être sur le bon chemin.
Notez bien qu’à ce moment là de l’histoire je ne sais même pas moi-même si je suis capable de créer quoi que ce soit…
Mais je sonde. J’envisage les possibles.
Pendant les deux jours du salon je savais qu’il fallait que je fasse vite, que je sois concentrée, que ce moment ne se reproduirait pas et que je devais tisser des liens immédiatement. Etre stratégique pour ne pas regretter.
Le salon s’achève, brèche fulgurante dans mon espace-temps personnel. Les six heures de route pour rentrer en Bretagne vont me permettre de structurer ma pensée et mes idées. Tout se met en place ou se met à sa place. Ma décision est prise : mon nouveau job sera de créer des broderies au point de croix.
Je souhaite à tous de vivre des moments de grâce comme celui-là. J’avais l’impression de flotter dans une évidence.
J'avais, s'étalant sous mes yeux, toutes les images et toutes les personnes qui allaient faire partie de mon futur.
Ce qui se passe après n’est plus que technique et organisation : étude de marché, prévisionnel etc. J’exagère à peine.
Novembre 2001. Pour conforter mon idée, je vais à Paris au Salon Création & Savoir-Faire, sentir la vitalité du marché et poser quelques questions. Je souhaite savoir si quelqu’un d’autre navigue déjà sur les sujets que j’envisage à savoir l’imaginaire et le fantastique. Rien à l’horizon…
Je souhaite savoir aussi quel logiciel utiliser. Aujourd’hui ils sont tous ou presque gratuits mais à l’époque non ! Il ne fallait pas se tromper. Je me suis fait rembarrer proprement par quasi tout le monde. La plupart sont devenus des amis après mais à ce moment là c’était : » débrouillez-vous, nous personne ne nous a aidé « .
Heureusement je suis arrivée sur le stand de Filanthrope de Christelle Petiot et elle m’a offert ce mini Graal à savoir un nom de logiciel et même une étude comparative faite sur place. A jamais Merci Christelle !
Décembre 2001. J’annonce à mes employeurs que je les quitterai six mois plus tard ce qui me laisse du temps pour former quelqu’un.
"Trouve-toi un comptable et un banquier avec lesquels tu peux t'entendre, oublie le reste et fonce !"
A partir de là c’est la guerre. La lutte en permanence. Les regards de pitié. La chute dans l’estime de certains. Comment peut-on décemment envisager de créer une entreprise de broderie ? Ha Ha HA ! Comment peut-on vivre de cela ?! Ha Ha HA !
Depuis vingt ans Brodeuses, à part lorsque je suis avec vous, je rencontre le plus souvent ces regards de pitié et d’indifférence. Le monde en général n’accorde pas de valeur à nos métiers. Ce n’est pas un problème la plupart du temps sauf lorsque l’on doit convaincre un banquier, un comptable, mais aussi des proches. Pour l’anecdote, la Chambre des Métiers a même voulu me mettre dans la case comptabilité. Et oui : Point Compté ! C’était à pleurer.
Chance pour moi, j’ai eu de bons conseils : « trouve-toi un comptable et un banquier avec lesquels tu peux t’entendre, oublie le reste et fonce ! »
Chance pour moi j’ai fini par rencontrer un drôle de comptable et une banquière extra qui m’ont vraiment soutenue aux bons moments. Gratitude.
Février 2002. J’ai commandé mon logiciel de broderie il y a deux mois et toujours rien. Je ne peux pas avancer sur mon catalogue or le temps file et je n’aurai rien à présenter en mai date de création officielle de l’activité. A cette époque là, pas de rupture conventionnelle, c’était forcément une démission donc pas de chômage non plus. Aucune aide et plus aucuns revenus du jour au lendemain. Même pas peur.
Fin février, le logiciel arrive enfin. Je l’installe prête à passer mes images à la moulinette du software. Outch ! C’est quoi cette M**** ?
Vous l’avez compris, parce que vous l’avez vécu pour beaucoup d’entre-vous, un logiciel c’est bête. Alors Alors.
Dans ma naïveté je pensais que le logiciel dégrossirait le travail et que je réajusterais et embellirais lors des finitions.
Sur le moment cela m’a un peu estomaquée parce que j’ai mesuré tout le travail qu’il y aurait à faire avant de pouvoir sortir quelque chose de correct sans la part du logiciel. Mais ça n’a pas duré longtemps. Je me suis tout de suite mise à la tâche et j’ai créé tant bien que mal mon premier sujet. Je me suis accrochée. C’était dur, très dur mais je n’ai jamais eu de doute sur ma capacité à réussir. J’en avais tellement envie !!!
Pour mai 2002 j’avais dans ma besace trois malheureux sujets. Pas de quoi frimer. Je travaillais encore comme salariée avec de grosses responsabilités, même si je me tenais désormais à un nombre d’heures raisonnables.
Arrive le 2 mai 2002, je suis chez le comptable, je signe les papiers de création d’entreprise : Welcome EURL Nimuë.
Il n’est plus possible désormais de faire machine arrière.
Rendez-vous pour la suite : Devenir Créatrice de Broderie Partie 3…
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Viviane, La Dame du Lac, par Nimuë d’après une illustration de Zéphir d’Elph.
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Quel courage!! c’est incroyable de voir que vous êtes vraiment partie de rien sinon l’envie et la foi en votre projet. Le coup de la case comptabilité à la chambre des métier c’est juste énorme on se demande quelles compétences pour leur poste loool. Je vois dans vos photos l’illustration de la reine des fées sur fond noir… Ca fait des semaines que je me dis que je la ferais bien sur une toile noire plutôt que rouge mais j’avais peur que ca ressorte moins… finalement c’est p’t » jouable mais ca va attendre la fin de quelques toiles lool.
C’est super de voir ces livres qui vous ont inspirée ca donne envie de remplir la bibliothèque…
Bonne soirée
Mais oui vous pouvez prendre noir. Il faudra changer la couleur des branches par quelsue chose de plus clair pour que cela ressorte, mais oui bien sûr.
Quel courage, quelle ténacité et quelle réussite !
j’adore l’épisode de la proposition de comptable : c’est vrai, il faut compter les fils et les croix … mais bon … il y a peut-être autre chose, non ?
j’ai souvent l’envie de détailler un visage, connu ou pas, en l’imaginant en points comptés, mais je me dis que ça devient obsessionnel et maladif , et puis les lunettes … on fait comment ?
merci de ce récit !
À bientôt.
Voir les choses dans leur transformation s’appelle l’inspiration. Si on ne l’écoute pas il ne se passe rien. C’est aussi moteur d’enthousiasme et de passage à l’action. Alors non ! ça n’est pas une maladie 😄 mais un cadeau ?