La Broderie qui se Raconte
1- Le plus important dans tout ce que l’on crée c’est ce que l’on raconte.
Si deux personnes distinctes créent une grille de broderie à partir de la même image,
- que l’une a une intention claire sur ce qu’elle veut dire et où elle va
- et que la deuxième n’a en tête que la technique et la transposition point à point de l’image,
alors la première version remportera à coup sûr tous les suffrages.
On n’imagine pas à quel point c’est important de savoir raconter une histoire même en broderie.
Vous pensez peut-être que le plus important c’est :
- que les points soient harmonieux,
- identiques,
- avec une tension de fil idéale,
- que l’envers soit aussi propre que le dessus, etc.
FAUX
La technique du point de croix est SI simple, qu’assez logiquement cela ne peut pas être ELLE qui fait la différence en terme de création.
2- Le plus important c’est la justesse de l’intention et son implication.
Au moment de créer, il s’agit d’être focus sur :
- l’histoire que l’on souhaite partager, comme un point fixe devant soi
- au moment de faire des choix se demander : est-ce que ces choix m’amènent là où je souhaite aller ? Oui, non ? on tranche
- est-ce que je suis confortable avec ce qui se déroule sous mes yeux : oui, non, je garde ou je recommence,
avec en point de mire l’histoire, l’histoire, l’histoire, le cœur de l’histoire.
C’est une histoire INTIME que vit la brodeuse.
Cela se passe entre la brodeuse et son ouvrage : 1 + 1 = 1
Pour les plus passionnées et même pour les moins aguerries, la broderie emporte loin dans un espace à soi, un lieu précieux comme un sanctuaire. L’on aspire à y faire entrer ce qui nous fera du bien.
La mission de la créatrice sera dès lors d’apporter le délicieux déroulé d’un conte, à plusieurs mains (la créatrice et la brodeuse), qui ira toucher là où l’émotion est douce et apaisante et rend le cœur joyeux.
Clin d’œil : dans le tout premier texte qui nous parle de Merlin La Vita Merlini (La vie de Merlin) de Geoffroy de Montmouth, (1155 de notre ère, ça ne nous rajeunit pas), il est Roi lui-même et décide un jour, déçu par les hommes, de se retirer du monde en devenant ermite et prophète dans une forêt.
Pour celles que cela intéresse, voici deux ouvrages à lire : La vie de Merlin, traduit du latin et pour une approche plus contemporaine L’Enchanteur de Barjavel que tout le monde adore.
Reprenons notre sujet…
Pour notre ami Merlin l’Enchanteur, il est ici dans son élément : les racines, le végétal et l’animal semblent lui être comme un cocon.
Il est finalement installé sur une sorte de trône qu’est cette grosse souche, avec une posture qui respire la confiance en soi. Le port est noble
Dans cette image, les racines sont tellement profondes et foncées que l’on sent presque l’odeur de l’humus : n’est-il pas aujourd’hui enserré dans les racines de la forêt de Brocéliande ?
L’amour de Viviane l’a mis là, et il patiente depuis jusqu’au retour du roi.
3- L’histoire dans l’histoire.
Une fois le sujet posé, il y a tout un chemin à effectuer : c’est la narration, autrement dit le Chemin .
C’est un des éléments clé dans la création : le chemin de la création.
- Par quoi je commence ?
- Comment j’évolue ?
- Je garde quoi pour la fin ?
- etc.
Une fois les éléments de l’histoire identifiés, il me reste tout de même la technique ! La création de la grille point à point.
C’est un peu comme écrire des chapitres.
Le point de croix ne permet pas de broder un peu ici et un peu là. L’on avance les points collés aux premiers sous peine de se tromper lourdement.
Aussi faut-il bien avoir en tête la progression de la grille, zone par zone, dans une évolution qui va permettre la mise en place d’une palette de couleurs contenues et harmonieuses.
Question : Je commence où ?... car je ne suis pas obligée de commencer au centre.
4- Le commencement est là où l’on pose les bases « lumineuses » de la broderie.
C’est comme en musique : un ton au-dessus ou un ton en-dessous, etc.
Les couleurs étant de la lumière quelle en sera la tonalité ?
Les premiers choix de fils définissent le niveau de luminosité qu’il faudra conserver tout au long du travail.
Ce choix est essentiel bien qu’à ce moment là du processus on ne peut pas mesurer toute son implication. Mais il faudra le tenir sous peine d’être discordant et de faire des fausses notes. En somme une dis-harmonie.
Parfois un tel choix a de lourdes répercutions à l’autre bout du sujet. Par exemple l’on aurait besoin d’un camaïeux particulier mais dans cette tonalité il est inexistant. D’où le mélange des couleurs, 1 fil de chaque, pour retrouver, grâce à cela, une forme de cohérence.
Pour Merlin j’ai décidé de commencer par la capeline.
Cela me semblait difficile de commencer par autre chose car c’est le point focal de l’image.
A cet endroit les couleurs sont très lumineuses et contrastées.
Il n’y a pas de dégradés doux, cela part en cascade du très clair saturé de lumière vers le presque noir.
Cette capeline m’interpelle depuis que je la regarde car des éléments me perturbent. Je ne la trouve pas passionnante. Comment vais-je la rendre passionnante ? Comment vais-je rendre ceci intéressant à broder ?
J’ai bien quelques idées qui s’affinent de jour en jour, mais cela ne pourra être réalisé qu’à la fin. Cela suppose de laisser des espaces vides, de larges espaces vides.
Heureusement ma toile est claire, dans des tons proches de ce qui sera fait, mon œil ne devrait pas être trop perturbé pour évoluer.
C’est une chance !
Les visages c'est à la fin !
5- Choix des couleurs :
Il y a d’autres zones en attente.
Il y a notamment un gris sur l’épaule droite de Merlin. Je regarde où dans l’image il y a d’autres gris : le visage.
Cela tombe bien c’est juste à côté ! je vais pouvoir broder cela maintenant et savoir ?
Et bien non. Je laisse en attente. Lorsqu’en fin d’ouvrage, je broderai le visage, avec ses poils gris, alors seulement je saurai de quel gris précisément il s’agit. Ou plutôt j’essaierai de composer avec les gris déjà dans la palette pour ne pas la surcharger.
Note : Je l’ai déjà dit ou écrit plusieurs fois : les visages c’est à la fin. Sinon le temps de faire le tour de la broderie les fils sont devenus ternes à force de frottements.
6- D’autres problèmes de gris :
Les informations dont j’ai le plus besoin par la suite se situent dans la toge. J’ai besoin de savoir notamment si :
- les marrons de la toges sont les mêmes que ceux des branches ?
Je poursuis ma broderie vers le bas et vers la cascade de plis allant des beiges/rosés aux verts/bleus mélangés.
J’arrive dans une nouvelle zone tampon : sous la capeline.
Il y a là un gris foncé que je ne peux broder immédiatement même si le plus simple serait d’en choisir un maintenant et ce serait fait. Mais si je procède comme ça, en ajoutant des couleurs encore et encore, à la fin j’aurai toute la palette DMC dans ma broderie ! Il me faut attendre d’atteindre un pli dans la toge où je serai à même de choisir le bon compromis. Au final, au lieu d’un gris classique, je vais utiliser un bleu pétrole très foncé qui fera le travail dans des endroits distincts, soit pour la brodeuse une couleur au lieu de deux, donc une économie.
Oooooh ! que de contrastes ! que de trous !
Pour résumer, j’ai choisi de commencer par la capeline pour donner la tonalité qui sera directrice pendant tout l’ouvrage, mais je suis obligée de laisser de grandes zones vides en attendant de nouvelles informations qui me seront données plus tard.
Je prie également pour que ce choix ne m’amène pas dans un imbroglio de couleurs par la suite…
Pour ce sujet, l’on voit qu’il est judicieux de laisser certaines zones en attente pour recevoir une meilleure information plus tard sur le bon choix de couleur. C’est une navigation parfois en eaux troubles avant qu’elles ne s’éclaircissent.
Rendez-vous pour la suite : Merlin Episode 3…
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Merlin, par Nimuë d’après une illustration de Zephir d’Elph
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Chouette ! De la broderie en deux fils ! …
Mais c’est beau.
Pour le moment pas grand chose en 2 fils…